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  • : Le blog du Mensékhar
  • : Présentation et publication intégrale de mon ouvrage de science-fiction appelé le Mensékhar
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         Adonis contemplait le lever de soleil de la fenêtre de sa chambre. L’astre qui émergeait à l’horizon derrière la forêt était d’un rouge éclatant, annonçant le début de la saison des grandes chaleurs sur la planète Okara. Adonis se retourna vers l’intérieur de la pièce pour observer dans la semi pénombre son compagnon de chambrée encore enfoui sous ses draps. Il dormait paisiblement et seul le souffle, lent et régulier, de sa respiration venait troubler le profond silence qui régnait dans la pièce.

   

         La petite sphère holographique située au-dessus de la porte de la chambre indiquait le début de la première journée de l’été. Le réveil général du campus était imminent. Les milliers d’étudiants de la Cité Universitaire allaient bientôt s’agiter, à l’image d’une colonie de fourmis sortant d’une longue hibernation, provoquant par la même occasion un brouhaha indescriptible.

   

         Pour l’instant, seules les feuilles des arbres bruissaient dans le vent léger du matin, couvert parfois par le chant des nuées d’oiseaux qui se posaient par grappes sur les cimes les plus élevées des chênes de la forêt.

   

         Adonis s’était levé aux aurores pour savourer pleinement sa dernière journée sur Okara. Certes, il éprouvait un brin de nostalgie à l’idée de quitter cette planète sur laquelle il venait de passer les cinq dernières années de sa vie à étudier, mais il attendait ce grand jour depuis trop longtemps. Après avoir vécu toutes ces années d’internat aux confins de l’univers, il allait enfin rentrer chez lui.

   

         La sphère holographique commença à diffuser une douce mélodie à l’intérieur de la chambre. Le volume diminua progressivement jusqu’à l’interruption totale de la musique. Une voix féminine de synthèse, trahissant l’absence d’étudiantes sur le campus, prit le relais :

   

         - Sixième heure. Réveil général de la Cité Universitaire.

 

         Le plafonnier circulaire devint fluorescent, puis éclaira la pièce avec une intensité croissante. La lumière jaune qu’il projetait lentement, à l’instar du soleil qui se levait, inondait progressivement la chambre, chassant par là même l’obscurité qui y régnait.

 

         Le jeune homme qui émergeait de ses draps, l’air hagard et les cheveux complètement ébouriffés, grimaça en ouvrant les yeux. Le réveil en douceur pratiqué à l’Université n’était finalement qu’un moindre mal, chaque réveil étant pour lui un supplice, qu’il soit accompagné de musique ou non.

 

         - Comment fais-tu pour être toujours aussi frais et dispos au lever, Adonis ? Demanda-t-il en apercevant son compagnon de chambrée déjà habillé et adossé à la fenêtre.

 

         Adonis se contenta de lui répondre par un sourire tendre, un brin moqueur. Ses lèvres se pinçaient en leurs extrémités et ses yeux marron clairs aux superbes reflets dorés brillaient de malice.

 

         Wacé se leva de son lit et se dirigea tout droit vers la douche, une petite cabine cylindrique aux parois transparentes, installée dans un recoin de la chambre. Le mécanisme de l’appareil se déclencha automatiquement après la fermeture de la porte. De l’eau savonneuse était propulsée dans la cabine par des jets latéraux installés à intervalles réguliers sur les parois. La douche de tête, quant à elle, projetait un shampoing mousseux aux parfums légèrement citronnés. Wacé se réveillait ainsi chaque matin en s’immergeant sous l’eau chaude pendant près de quinze minutes.

  

         Une fois complètement réveillé, Wacé coupa la douche grâce à une commande vocale, déclenchant ainsi le rinçage, puis le séchage automatique. De l’air chaud  était à présent projeté du plafond tournant de la douche de telle manière qu’il tournoyait dans la cabine de haut en bas, séchant le corps ruisselant de gouttes d’eau du jeune homme.

  

         Wacé quitta la douche, parfaitement décontracté et d’excellente humeur. Il s’étira longuement dans tous les sens puis attrapa ses draps thermo régulateurs, constitués d’un textile léger et extrêmement souple aux propriétés étonnantes. Ils permettaient notamment de conserver la température extérieure du corps autour de vingt-quatre degrés, quelques soient les conditions climatiques.

  

         Il jeta sur le sol de la chambre les draps qui ne lui étaient plus d’aucune utilité, puis il s’allongea à plat ventre sur le lit magnétique. Le matelas n’était en réalité qu’un simple champ magnétique bleuté presque transparent. Il épousait parfaitement les formes du corps de Wacé qui semblait flotter à une vingtaine de centimètres du sol.

  

         Le jeune homme appela son robot de confort :

  

         - Axano, masse-moi !

 

         Les travaux pratiques de l’Université, au programme de la cinquième année, consistaient à réaliser une machine suffisamment autonome pour réaliser certaines tâches plus ou moins complexes. Wacé avait joint l’utile à l’agréable en créant un robot domestique obéissant entièrement à ses ordres.

 

         De forme humaine en ce qui concernait la partie supérieure du corps, le robot de Wacé, dépourvu de jambes, gravitait au milieu de la pièce. Entièrement recouvert d’un latex blanc, il possédait un visage reproduisant les traits de son créateur dans les moindres détails.

  

         Le robot était un expert en massages de toutes sortes, ce qui avait valu une très bonne appréciation à Wacé de la part de ses professeurs. Tandis que le jeune homme se faisait masser longuement et méticuleusement, Adonis, lui, s’impatientait :

  

         - Dépêche-toi un peu, s’il te plaît. Nous devons nous préparer pour la cérémonie de remise des diplômes et nous allons finir par être en retard. Cela fait maintenant plus d’une heure que le campus a été réveillé.

  

         Wacé se redressa et congédia son robot domestique. Il enfila rapidement une combinaison élastique et légère de couleur bleue, identique en tous points à celle qu’Adonis portait et qui constituait l’uniforme de leur établissement scolaire.

  

         - J’aimerais bien prendre mon petit déjeuner avant d’aller à l’école, fit-il une fois fin prêt.

  

         - Comme tu voudras, mais dans ce cas, nous devons partir tout de suite.

  

         Adonis quitta son poste d’observation au bord de la fenêtre et traversa la chambre d’un pas alerte, suivi de près par son camarade. La porte coulissa automatiquement sur leur passage. Adonis et Wacé accélérèrent le pas dans le long couloir silencieux. Leurs semelles compensées s’enfonçaient sans un bruit dans l’épaisse moquette beige. Ils devaient se dépêcher s’ils souhaitaient rejoindre les autres étudiants déjà partis en direction du réfectoire afin d’y prendre leur petit déjeuner.

  

         Les deux garçons accéléraient encore le rythme, en descendant quatre à quatre les marches des escaliers, lorsqu’ils tombèrent nez à nez avec leur professeur de physique. L’homme grand et brun, approchant de la cinquantaine, fronça les sourcils en les apercevant :

  

         - Je vous cherchais partout vous deux. Vous êtes en retard. Tout particulièrement toi, Adonis. La Doyenne de l’Université souhaite te récompenser en personne lors de la cérémonie de remise des diplômes. Ta présence est indispensable.

  

         Les deux garçons suivirent le professeur dans le dédale des couloirs de la Cité Universitaire. Ils comprirent qu’ils n’auraient pas le temps de prendre leur petit déjeuner lorsqu’ils quittèrent le bâtiment, tournant résolument le dos au réfectoire. La grande place qu’ils traversaient à présent était de formes quasiment symétriques comme tous les monuments de l’Université. Bordée d’immeubles de quatre étages, pavée de grandes dalles carrées de marbre blanc, elle était quadrillée de rangées d’arbres. Adonis n’aimait pas l’architecture de l’Université. Tout y était très luxueux, mais beaucoup trop artificiel à son goût.

 

         Ils s’approchaient d’un vaste bâtiment en grès rose, l’Elakil, la plus prestigieuse des écoles de l’Empire, celle qui formait les nobles et les plus hauts fonctionnaires de l’Etat. Il n’y avait pas âme qui vive sur le campus. Les deux garçons étaient-ils aussi en retard que cela ? La procession de la remise des prix ne devait pourtant pas débuter avant midi. Le professeur, sentant la confusion de ses élèves, leur résuma brièvement la situation :

  

         - La Doyenne a décidé d’avancer le calendrier des festivités à la dernière minute. Elle remettra les diplômes une heure plus tôt que prévu. Nous avons averti les étudiants de ce changement de programme, tout à l’heure au réfectoire, mais vous n’y étiez pas.

 

         Adonis était perplexe. La tradition plurimillénaire de l’Université exigeait que l’on fasse impérativement débuter la remise des diplômes lors de la douzième heure du premier jour de l’été. Pourquoi avoir bousculé un calendrier établi depuis des générations ?

 

         - Quelle est la cause de tout ce remue-ménage ? S’étonna-t-il.

  

         - Je n’en ai pas la moindre idée.

 

         Le professeur avait menti, Adonis en avait la certitude. Les savants vivaient en parfaite cohésion. Par conséquent, ils avaient nécessairement dû être informés des événements qui avaient amené la Doyenne à avancer l’heure de la cérémonie. Bien qu’intrigué, Adonis était cependant trop prudent pour oser poser plus de questions.

  

         Il fit néanmoins part discrètement de ses doutes à son compagnon :

  

         - Les savants cachent quelque chose, j’en suis persuadé.

  

         - Les savants ont la culture du secret, ironisa Wacé. Ce sont avant tout des politiciens. N’oublie pas qu’ils représentent un tiers des sièges au sein du Grand Conseil.

  

         Les immenses portes en argent de l’école étaient ouvertes. Ils passèrent sous le porche puis traversèrent la gigantesque cour carrée intérieure, bordée d’une longue galerie de colonnes roses. Des rires et des bribes de conversations en provenance du bâtiment annonçaient à Adonis et à Wacé que leur promenade matinale touchait à sa fin.

  

         Les trois hommes pénétrèrent dans une vaste salle voûtée, à l’intérieur de laquelle les étudiants se préparaient, dans une atmosphère bon enfant, en perspective du grand défilé. Ils avaient tous revêtu une toge blanche et posé une couronne de fleurs sur leurs cheveux. Le professeur se retira après avoir donné une ultime consigne aux deux retardataires :

  

         - Vous avez cinq minutes pour vous changer. Il va falloir vous dépêcher.

 

         Adonis et Wacé retirèrent leurs vêtements pour enfiler une toge et passer des sandales légères à leurs pieds.

 

         - Tu es beau comme un dieu, s’exclama Wacé à l’attention d’Adonis qui venait de poser une couronne de fleurs sur ses cheveux blonds légèrement bouclés.

 

         Les aubépines et la toge d’une blancheur éclatante faisaient ressortir avec encore plus d’éclat le blanc immaculé de la sclérotique des yeux d’Adonis. Ses cheveux blonds comme les blés rappelaient les reflets dorés de ses iris.

  

         Adonis, très sensible au compliment de son ami, rougit.

 

         - Tu es très élégant toi aussi.

  

         Wacé triomphait dans sa tenue de défilé. A dix-neuf ans, il était de deux ans l’aîné d’Adonis. Tous les professeurs s’accordaient à dire que les deux garçons étaient aussi différents que le jour et la nuit. L’enfant sage au visage d’ange contrastait avec le garçon un peu dissipé à la peau mate et aux cheveux bruns et bouclés tombant sur les épaules. Malgré leurs différences, les deux garçons ne se quittaient plus depuis qu’ils avaient fait connaissance cinq ans auparavant, lors de leur arrivée sur Okara.

 

         Adonis était à part, à tous points de vues, au sein de l’Université galactique. Jeune prodige à l’intelligence précoce, il avait débuté le cursus habituel avec deux ans d’avance. En outre, et dérogeant ainsi à toutes les règles, ses prédispositions exceptionnelles lui avaient valu d’intégrer l’Elakil, une école supérieure élitiste qui n’acceptait en son sein que des fils de nobles ou de fonctionnaires.

 

         Cet insigne privilège lui avait attiré les foudres de ses camarades. Les fils des privilégiés de l’Empire, hautains et jaloux, ne l’avaient jamais toléré parmi eux. Seul Wacé, lui-même un peu à part en raison de sa personnalité insondable, l’avait immédiatement accepté. Leur amitié s’était fortifiée tout au long de leur adolescence et ils étaient devenus inséparables.

 

         Les étudiants, fins prêts, vêtus de leurs costumes d’apparat, se plaçaient maintenant par rangées de quatre pour défiler. Les deux rangs intérieurs accueillaient les élèves munis d’instruments de musique. Adonis et Wacé prirent place dans les rangées extérieures réservées aux élèves de chant.

 

         La procession se mit en marche en chantant des hymnes bucoliques sous le soleil. Toutes les écoles supérieures d’Okara convergeaient simultanément vers l’Apanama, la résidence privée des savants. Cette grande ville de dix kilomètres de diamètre possédait une enceinte grise, percée de cinquante portes, une pour chaque école supérieure.

 

         Les savants vivaient perpétuellement dans cette cité; ils y réalisaient leurs recherches secrètes et n’en sortaient que pour donner des cours dans leurs écoles respectives. Les plus âgés d’entre eux quittaient régulièrement Okara pour aller siéger au Grand Conseil, le parlement de l’Empire, situé sur Gayanès, la planète Impériale.

  

         Une fois par an, les étudiants de l’Université étaient exceptionnellement admis à pénétrer dans ce saint des saints de la science de l’Empire afin d’y recevoir en grande pompe leur diplôme sanctionnant un cycle d’études quinquennal.

 

         Les cortèges de toutes les écoles venaient de passer leur porte respective et convergeaient en musique vers le centre de l’Apanama, une vaste place circulaire au milieu de laquelle se dressait une plateforme carrée, surmontée d’une tour conique en pierres jaunes d’une cinquantaine de mètres de hauteur, le palais de la Doyenne de l’Université.

 

         Chaque cortège prit place en rangs serrés autour de l’esplanade du cône en pierre, attendant avec fébrilité l’apparition de Syris, la Doyenne de l'Université. Deux hommes en costume d’apparat passèrent la porte d’entrée du palais située face à l’allée de l’Elakil. Ils se postèrent chacun d’un côté de l’entrée et, se tournant l’un vers l’autre, portèrent à leurs lèvres l’imposante trompette argentée en forme de corne d’antilope qu’ils tenaient à la main.

 

         Le bruit de l’instrument résonna dans l’Apanama avec une telle amplification qu’il traversa toute la Cité Universitaire pour finir par se disperser au loin dans la forêt. La foule des étudiants s’agenouilla d’un seul bloc, les milliers de têtes se plièrent vers le sol. Lorsqu’elles se redressèrent au second coup de trompette, elles aperçurent la Doyenne qui se tenait sur une petite terrasse circulaire au sommet du cône en pierres jaunes.

 

         La vieille femme prit la parole, relayée par d’énormes sphères holographiques apparues en l’air, aux quatre coins de la grande place de l’Apanama. Ces sortes d’écrans géants immatériels en trois dimensions retranscrivaient l’intégralité de l’intervention de la Doyenne, tant au niveau phonique que visuel.

  

         - Soyez les bienvenus en l’Apanama, étudiants de l’Université. Vous avez tous réussi vos examens et je vous en félicite. Vous allez bientôt recevoir vos diplômes, mais auparavant, je souhaite que le Major de la promotion sorte des rangs  et vienne me rejoindre.

 

         Adonis s’avança en direction de la vaste plateforme en pierres jaunes, percée d’une unique porte et bordée sur toute sa longueur de niches semi ovales qui abritaient les statues en marbre blanc des plus grands savants de l’Université. Le garçon emprunta le double escalier qui s’élançait au-dessus de la porte d’entrée, accédant ainsi à la terrasse supérieure de l’édifice.

  

         Après avoir traversé l’esplanade carrée qui dominait la foule des étudiants, Adonis se retrouva au pied du palais conique de la Doyenne de l’Université. Il commença alors à gravir les premières marches en pierre d’un escalier extérieur sans parapet qui s’enroulait le long de la paroi conique, conférant ainsi au bâtiment sa forme typiquement hélicoïdale.

 

         Une fois arrivé sur la petite terrasse circulaire, située au sommet de ce curieux édifice, Adonis s’agenouilla devant la Doyenne de l’Université. La vieille femme décharnée lui remit un bâton d’une vingtaine de centimètres, taillé dans un bloc de cristal jaune d’Okara. Le diplôme était gravé en creux sur la surface translucide.

 

         - Tu as été le plus brillant des élèves de l’Université, Adonis, non seulement tout au long de cette année, mais encore depuis la fondation de cette école par Etran, le Premier Empereur, il y a de cela cent mille ans. Je regrette seulement ton refus de venir travailler parmi nous sur Okara, mais je respecte ton choix. Je te recommande simplement de toujours mettre ta prodigieuse intelligence au service de l’humanité.

 

         Adonis, en se relevant, se retrouva nez à nez avec la Doyenne, la sorcière comme l’avaient surnommée les étudiants de l’Université. Elle le fixait de ses yeux rouges; la haine transperçait son regard. Son beau discours n’était en réalité qu’hypocrisie, elle n’avait absolument pas accepté le départ d’Adonis. Le jeune homme, mal à l’aise, cacha difficilement son inquiétude.

 

         Les cheveux de la Doyenne, clairsemés, mal coiffés, tombaient en désordre sur le col noir de sa longue robe rouge. La vieille femme agrippa le bras droit d’Adonis pour descendre avec lui les escaliers de son palais. La peau plissée de la vieille albinos était aussi blanche que ses cheveux, ses ongles longs et crochus s’enfonçaient nerveusement dans la peau du bras du garçon comme si elle avait peur de tomber sans le soutien de son bâton de vieillesse.

 

         Ils descendirent ensemble l’escalier, suivis des gardes du corps de la vieille femme. Insigne honneur, elle remit personnellement leurs bâtons de diplômés à tous les élèves de l’Elakil, tandis que les étudiants des autres écoles devaient se contenter de recevoir leur récompense des mains de leurs directeurs respectifs.

 

         La cérémonie de remise des diplômes une fois terminée, le son des trompettes résonna une dernière fois avant que la Doyenne de l’Université ne disparaisse définitivement derrière la porte dorée de l’esplanade de son palais.

 

         Les étudiants, désormais indésirables, quittèrent l’Apanama en procession inversée. Ils devaient désormais préparer leurs bagages avant de quitter Okara, pour regagner leurs planètes respectives dispersées aux quatre coins de l’univers.

 

         Les étudiants de l’Université disposaient encore de quelques heures pour faire leurs bagages avant de quitter définitivement Okara. En avance sur l’horaire, Adonis et Wacé prirent leur temps pour ranger leur chambre et mettre un peu d’ordre dans leurs affaires respectives.

 

         - Tu seras toujours le bienvenu sur Phylis, proposa Wacé à son ami. Dès mon retour, j’y assurerai la succession de mon père et je pourrai t’y accueillir comme un prince.

 

         Les gouverneurs planétaires de Phylis étaient issus de la plus haute noblesse de l’Empire, ce qui leur valait de siéger au Grand Conseil. La famille de Wacé avait toujours fait preuve d’une grande ambition. Elle participait activement aux affaires de l’Etat depuis des siècles. Le père du jeune garçon était mort victorieusement au combat lors de la dernière guerre menée par l’Empire contre les Amazones.

 

         - Je te remercie pour ton invitation, Wacé. Je ne manquerai pas de venir te rendre visite sur Phylis si tu me promets de venir me voir à ton tour sur la Planète-Mère.

 

         - Je te le promets.

 

         Wacé avait esquissé une grimace de dégoût, ce qui n’avait pas échappé à Adonis. Il n’avait pas voulu vexer son ami, mais il n’était pas très enthousiaste à l’idée de séjourner sur cette planète sauvage peuplée de vieux fous que seul Adonis osait considérer comme des sages.

 

         Adonis examina rapidement la chambre pour s’assurer de ne rien avoir oublié. Il fut surpris de trouver le robot de confort de Wacé qui semblait avoir été abandonné par son ami dans un recoin de la pièce.

 

         - Tu n’emportes pas Axano ?

 

         - Que veux-tu que je fasse de cet automate ? J’aurai des centaines de serviteurs à mon service sur Phylis.

 

         - Je croyais que tu y étais attaché, s’étonna Adonis. Tu lui avais même donné un nom.

 

         - Il fallait bien que je lui donne un nom pour pouvoir l’appeler. Et toi ? Tu vas garder ton sphéroïde ?

 

         - Bien sûr, mais où est donc passé ce satané engin ? Sphéroïde !

 

         Adonis siffla pour appeler le petit appareil qu’il avait conçu lors des travaux pratiques de la dernière année. Il n’avait pas créé un vulgaire domestique humanoïde comme s’était contenté de faire Wacé. Son robot possédait beaucoup plus de ressources à lui tout seul que tous les automates réunis des autres étudiants. Passionné par le concept, Adonis avait même fait évoluer son prototype après les examens, lui ajoutant sans cesse de nouvelles fonctionnalités.

 

         - Tu aurais au moins pu lui apprendre la discipline, ironisa Wacé. Tu cours sans arrêt après ce machin.

 

         Une sphère de la taille et de la couleur d’une boule de pétanque venait d’entrer dans la chambre par la fenêtre entrouverte. Elle tournait en permanence sur elle-même, à l’instar d’une planète. Elle vint finalement se positionner sagement au-dessus de l’épaule d’Adonis. Ce dernier protesta vivement :

 

         - Sphéroïde n’est pas un machin. C’est une intelligence artificielle de la vingt-sixième génération. Il est entièrement autonome.

 

         - Tu aurais au moins pu lui donner un nom.

 

         - Son nom, c’est Sphéroïde, tout simplement, protesta Adonis. Toi, tu leur donnes des noms sophistiqués, puis tu les mets à la casse. Je ne vois pas l’intérêt.

 

         Wacé ne souhaitait pas se disputer avec son ami au sujet de ces tas de ferrailles qui ne présentaient selon lui aucun intérêt. Il ne releva donc pas la dernière remarque d’Adonis et alluma la sphère holographique située au-dessus de la porte d’entrée de la chambre. Ces appareils multimédias servaient de moyen de communication universel. En l’occurrence, Wacé désirait s’en servir à présent comme holophone.

  

         - Je vais appeler un taxi, proposa-t-il.

 

         - Nous avons encore le temps, objecta Adonis.

 

         - Nous n’allons pas rester dans cette chambre à ne rien faire. Je te propose de gagner le spaciodrome par l’ancienne route, celle qui passe à travers les bois. Nous en profiterons pour flâner un peu, ce qui nous permettra de mieux apprécier notre dernier voyage sur Okara.

 

         Adonis se rallia à l’idée de Wacé et un taxi vint les chercher au pied de leur immeuble. Les deux garçons montèrent à l’arrière d’un véhicule aux proportions harmonieuses dont le toit et les montants enjambaient une surface vitrée, continue, courbe et homogène. La voiture flottait en apesanteur au-dessus de la route et était propulsée par deux petits réacteurs placés à l’arrière, de chaque côté du véhicule.

 

         - Un peu moins vite, chauffeur, s’il vous plaît, ordonna Adonis. Nous désirons profiter du paysage.

 

         Le chauffeur leva les yeux au ciel.

 

         - C’est la première fois en trente ans de métier que des clients me demandent de prendre mon temps, s’exclama-t-il.

 

         Obéissant aux désirs de ses passagers, le chauffeur passa en mode croisière, une option qui réglait le véhicule à une vitesse minimum et constante.

  

         - A cette allure, nous ne serons pas au spaciodrome avant une heure.

 

         - C’est parfait, répondit Wacé en se calant confortablement dans son siège.

 

         L’ancienne voie rallongeait considérablement le trajet. Elle traversait une pinède déjà sèche en ce début d’été. La route, sinueuse et escarpée par endroits, n’était guère empruntée que par les romantiques qui avaient du temps à perdre. Le chauffeur fut par conséquent très surpris d’y croiser un autre véhicule, peu de temps après leur départ de l’Université.

  

         - Tiens, un autre maboul.

 

         L’autre véhicule, très pressé, roulait bien plus vite que le taxi. A l’arrière, en une fraction de seconde, Adonis avait cru apercevoir la silhouette de l’Empereur. Ce n’était pourtant pas son véhicule officiel. Il confia ses doutes à Wacé.

 

         - L’homme assis à l’arrière du véhicule que nous avons croisé, ressemblait terriblement à l’Empereur Sheshonq.

  

         - Tu as dû mal voir.

 

         Le chauffeur qui avait entendu la conversation se moquait d’Adonis :

 

         - Sa Majesté voyageant dans une voiture de classe trois ! Je n’avais encore jamais entendu de pareilles inepties.

 

         Wacé sourit en envisageant une telle éventualité. Adonis, froissé, colla son front à la vitre; il fixait du regard les arbres qui défilaient le long de la route.

 

         - Tu fais la tête, déplora Wacé. Détends toi, je n'ai pas voulu te blesser. Avoue que tout ceci est invraisemblable. Que viendrait faire Sa Majesté sur Okara ? Le jour de la fermeture de l’Université qui plus est.

  

         Adonis se tourna vers lui et lui adressa un grand sourire.

 

         - Je n'ai pas mal pris ta remarque, Wacé, tu n'as pas d'inquiétude à te faire.

 

         Adonis ne chercha pas à convaincre son camarade. Il était pourtant persuadé d’avoir aperçu l’Empereur. Ce ne pouvait être que lui; il était si caractéristique avec son front large, son bouc auburn et ses moustaches retroussées. Adonis ne pouvait guère se tromper car il était très physionomiste. En outre, il était persuadé que les deux passagers des sièges avant du véhicule qu’ils venaient de croiser étaient des Immortels, les soldats de la garde rapprochée impériale.

 

         Le véhicule pénétra dans l’enceinte du spaciodrome une heure plus tard. Le taxi les déposa devant le bâtiment central, la spaciogare, qui avait la forme d’un quartz géant dressé vers le ciel dans un bouquet d’obélisques de verre enchevêtrés légèrement inclinés dans tous les sens.

 

En arrivant dans la salle d’embarquement, Wacé constata qu’il était encore nettement en avance sur l’horaire prévu. Impatient de rentrer chez lui, le jeune homme avait décidé de prendre la première navette en partance pour Phylis. Une hôtesse lui échangea son billet et l’informa sur un ton doucereux :

 

         - Votre aéronef partira sous peu porte dix-huit, monsieur.

 

         Phylis, destination très prisée, était bien desservie. En revanche, aucune navette n’assurait les liaisons avec la Planète-Mère. Par conséquent, Adonis devait emprunter un aéronef privé non programmé sur les sphères holographiques de contrôle.

 

         - Une navette personnelle en provenance de la Planète-Mère doit venir me chercher, précisa-t-il. Quand est-elle attendue ?

 

         L’hôtesse consulta les horaires d’arrivée sur ses appareils de contrôle :

 

         - Elle arrivera dans une heure et demie, porte cinquante-trois.

 

         Les deux garçons se firent leurs adieux, puis Adonis regarda Wacé disparaître dans le long couloir d’embarquement en verre. La navette du jeune homme décolla quelques minutes plus tard et disparut aussitôt dans le ciel céruléen d’Okara.

 

         Adonis fit ensuite le tour de la spaciogare pour atteindre la porte cinquante-trois située au sommet du principal cristal du quartz. Il n’eut pas beaucoup de temps à attendre. Le vaisseau en provenance de la Planète-Mère était en avance et venait tout juste de s’arrimer aux parois de verre de la spaciogare.

 

         Adonis emprunta une galerie de cristal qui menait dans les entrailles de la navette. L’intérieur de l’appareil était tout noir, seules quelques veilleuses balisaient le chemin dans les couloirs désertiques. La cabine de l’aéronef était également dans la pénombre. Pourtant Adonis sentit une présence; Irz'gune était venu l’accueillir en personne.

 

         - Me voilà, Maître, dit-il.

 

         Les lumières s’allumèrent subitement. Un vieil homme aux cheveux blancs dégarnis et à la longue barbe, confortablement installé dans un siège en face du tableau de bord, abaissa vers lui un levier rouge. Lorsqu’il tourna son fauteuil pivotant pour faire face à Adonis, le vaisseau décolla pour traverser les cieux sans la moindre vibration.

 

         - Je suis heureux de te revoir, Adonis, fit-il. Il y a si longtemps que nous ne nous sommes pas vu.

 

                                                                                Chapitre 2 

 

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