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  • : Le blog du Mensékhar
  • : Présentation et publication intégrale de mon ouvrage de science-fiction appelé le Mensékhar
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29 février 2012 3 29 /02 /février /2012 10:29

 

         Les premières lueurs du jour firent leur apparition sur le spaciodrome de la Cité Interdite. Avant de descendre la passerelle, Sappho jeta un coup d’oeil empreint d’émotion en direction des palmiers qui bordaient la piste d’atterrissage.

         Elle se revoyait, attendant l’arrivée d’Adonis. Elle revoyait le jeune homme faire son apparition à la porte de la navette. Il était beau comme un dieu.  Pour la première fois de sa vie, elle avait ressenti une attirance physique pour un homme.

         Pour la première fois de sa vie, elle avait été amoureuse. D’aventure en aventure, cela ne lui était jamais arrivé auparavant. Avant de connaître Adonis, elle s’était toujours moquée des amoureux qu’elle avait eu l’occasion de rencontrer. Il n’était pas difficile de les reconnaître. Ils étaient extrêmement naïfs et dégoulinants de tendresse. Elle les trouvait ridicules et totalement détachés de la réalité.

         Les sandales de Sappho étaient encore couvertes de la terre de la Planète-Mère. L’Impératrice descendait prudemment les marches de la passerelle, veillant à ne pas glisser. Après avoir posé le premier pied à terre, elle marcha en direction du palmier sous lequel elle avait attendu Adonis lors de leur première rencontre.

         Personne n’avait pu définir l’amour, pourtant, elle savait qu’elle était amoureuse. Elle le savait parce que son coeur avait été brisé par un chagrin d’amour. Elle était infiniment triste, triste d’avoir été abandonnée par Adonis. Ses sentiments étaient confus. Elle haïssait le jeune homme, plus que n’importe qui. Pourtant, elle le savait au fond d’elle-même, elle aurait été incapable de lui faire le moindre mal.

         Elle s’imaginait qu’on apportait Adonis enchaîné à ses pieds. Le jeune homme tremblait et craignait pour sa vie. Il était pitoyable. Sappho rêvait de lui infliger les souffrances qu’il lui avait causées. Aucun supplice ne pourrait venger la douleur qu’il lui avait infligée. Elle imaginait qu’elle lui arrachait les yeux, lui coupait la langue, le transperçait de pointes. Mais son corps ne devenait jamais un amas de chair sanguinolent. Sappho mettait très rapidement fin au supplice, libérait le jeune homme et se jetait dans ses bras.

         Elle était prisonnière d’Adonis. Elle souhaitait son amour plus que tout au monde et elle ne pouvait plus s’en détacher. Le garçon avait été très clair, il ne voulait plus d’elle. Pourtant, elle espérait inconsciemment qu’il reviendrait sur sa décision. Elle imaginait qu’une navette se posait à côté de la sienne et qu’Adonis sortait de l’appareil pour aller à sa rencontre. Il la prenait dans ses bras, lui demandait de lui pardonner. Il lui expliquait qu’il regrettait de l’avoir abandonné et qu’elle était toute sa vie.

         Mais aucune navette ne se posa sur le spaciodrome. Sappho sortit de ses rêveries et s’appuya au palmier. C’était là qu’elle l’avait rencontré pour la première fois. Cet endroit devait dégager une sorte de cercle magique. Dès que Sappho s’approchait du palmier, sa tristesse s’évanouissait. Elle se sentait bien comme lorsqu’elle était aux côtés d’Adonis. Son corps n’avait plus d’emprise sur elle, elle se sentait légère comme le vent.

         Sappho serait bien restée sous le palmier pendant des heures, mais elle était décidée à regagner son palais. Elle traversa la pelouse et emprunta un petit sentier sur lequel il était plus aisé de marcher. La mélancolie l’étreignit à nouveau lorsqu’elle s’éloigna du cercle magique formé autour du palmier.

         Adonis avait-il la moindre idée de la douleur qu’il lui causait ? Elle était sûre que non. Le jeune homme n’était pas aussi attaché à elle, qu’elle ne l’était à lui. Il n’avait jamais été amoureux et ne pouvait pas savoir ce que l’on pouvait éprouver lors d’une déception sentimentale.

         Sappho était comme lui quand elle était jeune. Des dizaines de femmes et même des hommes étaient tombés à ses pieds et lui avaient déclaré leur amour. Elle n’avait jamais attaché la moindre importance à leurs états d’âme. Elle ne les avait pas aimés et n’avait jamais voulu s’embarrasser d’eux. Elle avait brisé des milliers de coeurs sans aucun remords. Maintenant c’était à son tour de souffrir.

         En avançant sur le chemin, elle sentit la présence de son palais tout proche. Il était issu de son propre sang et elle vivait en lui. Elle devinait ainsi que ses Mignonnes avaient été averties de son arrivée et qu’elles l’attendaient avec impatience.

         Sappho se demanda si la bonne humeur de ses Mignonnes allait réussir à la distraire. Ces jeunes femmes étaient étonnantes. Elles avaient tout abandonné pour vivre aux côtés de l’Impératrice qui leur accordait de temps en temps ses faveurs. Elles papillonnaient en permanence autour de Sappho, espérant un jour être remarquées. Comme aucune de ces femmes n’était particulièrement favorisée par l’Impératrice, il n’y avait pas de rivalités entre elles. Chacune était libre de tenter sa chance. Constamment entourée par ces jeunes femmes, Sappho en remarquait quelques-unes qui lui plaisaient et s’abandonnait à elles.

         La silhouette familière de son palais se découpait dans le ciel de la Cité Interdite. Sappho se lassait rapidement de tout et modifiait constamment l’apparence de sa demeure. Aucun plan précis n’y présidait, Sappho le transformait selon ses caprices et son humeur. Il lui suffisait de se concentrer très fort pour lui imprimer une nouvelle forme rien que par la puissance de son esprit.

         Les Mignonnes entamèrent une farandole autour de l’Impératrice lorsque celle-ci pénétra dans le hall du palais. Les robes des courtisanes en tissus très fins s’alternaient dans la danse entre rose, jaune et bleu. Elles avaient délié leurs cheveux qu’elles balançaient avec leur tête au rythme des tambourins.

         Sappho fut invitée dans la danse. Deux courtisanes l’attrapèrent chacune par une main et l’entraînèrent dans un rythme diabolique. La farandole vagabondait dans le hall, montant sur les tables basses et traversant le petit bassin placé devant la porte d’entrée. Les Mignonnes gravissaient l’escalier et déambulaient gaiement le long de la galerie du premier étage.

         Sappho coupa la danse en se détachant de la chaîne. Séparée en deux, la farandole tourna encore un peu  puis se dispersa dans les protestations générales.

         - Je suis fatiguée, je vais me retirer dans ma chambre, annonça l’Impératrice.

         La déception fut générale.

         - Tu ne veux plus danser avec nous, Majesté ? Déplora une jeune fille que Sappho ne connaissait pas.

         L’Impératrice fut immédiatement séduite par le charme discret de cette jeune inconnue. Elle portait une coupe à la garçonne qui renforçait, en s’y opposant, la féminité de son visage.

         - Comment t’appelles-tu ? Demanda Sappho intriguée.

         - Mes amies m’appellent This. Je suis venue d’Hermatros pour te rencontrer, Majesté.

         L’Impératrice passa son doigt sur les fines lèvres de la jeune fille qui ondulaient comme des vagues quand elle ouvrait la bouche. Cette beauté était très fragile.

         Malgré tous ses efforts, Sappho n’arrivait pas à se changer les idées. Dès qu’elle regardait ce corps qui lui inspirait pourtant du désir, l’image du visage souriant de tendresse d’Adonis lui venait à l’esprit. Le jeune homme l’obsédait. C’était lui qu’elle voulait tenir dans ses bras, pas ces jeunes filles qui, aussi belles fussent-elles, n’atteindraient jamais cet idéal.

         Sappho poussa les femmes qui se pressaient autour d’elle. Elle courut et dévala l’escalier. Arrivée dans le hall, elle ouvrit la porte d’entrée du palais et prit la direction de la salle du Grand Conseil.

         Le soleil l’aveuglait, mais cela lui était égal. Elle courait droit devant elle pour se diriger vers le grand bâtiment en forme de champignon. La blessure causée par Adonis lui interdisait pour l’instant d’aimer une seule autre personne que lui. Privée de tendresse, il lui fallait un autre but pour se rattacher à la vie. Elle espérait qu’elle trouverait quelque satisfaction avec l’exercice du pouvoir. La quête du pouvoir avait après tout été la principale ambition de sa vie.

         La pastille décolla du sol et l’emmena vers les orifices de la partie supérieure du bâtiment du Grand Conseil. Une fois arrivée dans le bâtiment, Sappho pénétra dans la grande salle et prit place sur le trône impérial en cristal bleu.

         Combien de fois avait-elle rêvé de s’asseoir à la place de son frère? Elle avait réalisé toutes ses ambitions et s’était emparée d’un trône qu’elle estimait devoir lui revenir de droit. Sappho était devenue l’Impératrice de l’univers. Des milliards d’hommes la vénéraient et la respectaient parce qu’elle était la Maîtresse des Protonyx.

         Tout cela lui semblait maintenant désespérément futile. A quoi bon le pouvoir, la fortune et la reconnaissance si on ne possédait pas l’amour. Elle était prête à tout abandonner pour gagner le coeur d’Adonis.

         Elle avait toujours étouffé sa sensibilité, cachant ainsi sa grande faiblesse. Elle l’avait étouffée en se plongeant dans un matérialisme excessif. Adonis avait réussi à réveiller cette trop grande sensibilité. Mais il s’était éclipsé après l’avoir mise à nu. Dépouillée de l’apparente indifférence qui lui servait de carapace, Sappho était désormais fragilisée. Son coeur était à vif.

         Elle n’avait plus goût à rien. Plus goût aux parties de plaisir avec ses Mignonnes, plus goût à posséder le pouvoir. Son amour pour Adonis avait donné un sens profond à sa vie. Elle avait appris à aimer quelqu’un d’autre en dehors d’elle-même.

         Lorsque Adonis avait disparu en se sauvant avec Eden, Sappho s’était sentie trahie. Au lieu de le maudire, elle lui avait pourtant pardonné et avait tout mis en oeuvre pour le retrouver. Adonis avait disparu de sa vie, mais elle avait gardé l’espoir. L’espoir de le retrouver et de partager sa vie avec lui.

         Comme elle aurait aimé ne jamais le retrouver ! Elle aurait alors gardé intact cet espoir qui la faisait vivre. Paradoxalement, les retrouvailles avaient tout anéanti. Adonis l’avait rejetée, mettant fin à toutes ses espérances. Elle était sûre qu’elle ne serait plus jamais aimée par le jeune homme.

         Parviendrait-elle à se faire une raison ?

         Les douleurs du coeur s’estompaient généralement avec le temps. Mais sa passion était tellement ardente qu’elle était persuadée qu’elle ne s’éteindrait pas avant de l’avoir totalement consumée.

         Sappho quitta le trône de cristal et se dirigea vers l’une des portes de sortie de la grande salle. Plongée dans ses pensées, elle marcha jusqu’aux abords de la partie supérieure du bâtiment du Grand Conseil d’où décollaient et atterrissaient les pastilles de lévitation. Elle s’approcha de l’ouverture béante pour contempler le vide.

         La vue qui s’offrait à elle dépassait et de loin les simples limites de la Cité Interdite. Au loin, à l’horizon, l’unique océan de Gayanès s’étalait en une immense masse bleu marine. Des villages d’ouvriers, construits au milieu des champs, entouraient les abords de la muraille qui délimitait la Cité Interdite. Les jardins de cette dernière cachaient derrière une végétation luxuriante les palais des différents membres de la famille impériale. Sur un même axe qui coupait la Cité Interdite du nord à l’est, s’élevaient les palais de Sheshonq, d’Eden et de Sappho.

         Signe prémonitoire, le palais de l’Impératrice était celui qui avait été bâti le plus près du Grand Conseil, le centre du pouvoir de l’Empire. Sappho fut saisie de vertige. Le vide l’attirait irrésistiblement.

         - Oseras-tu sauter ? Souffla une petite voix dans son dos.

         Sappho se retourna. L’affreux nain qui lui était déjà apparu sur Iadès lui faisait face avec sa mine aride. Curieusement, il ne lui inspirait plus aucune peur.

         - Ne cesseras-tu donc pas de me persécuter, gnome ?

         - Je ne suis pas venu te persécuter.

         L’Impératrice était persuadée qu’il disait la vérité. Quel intérêt aurait-il d’ailleurs eu à lui mentir ?

         - Disparais hors de ma vue, s’écria t-elle.

         Au lieu de fuir, le nain fit quelques minuscules pas pour s’approcher d’elle. Sappho était  acculée car elle ne pouvait plus reculer sans chuter dans le vide. Il lui parla doucement.

         - J’ai deviné tes pensées, Sappho. Tu as décidé de mourir, mais as-tu bien pesé toutes les conséquences que ton geste entraînera ?

         L’Impératrice, surprise par la lucidité du nain, eut une réaction de défiance.

         - Je n’ai pas peur de la mort. Je préfère mourir plutôt que souffrir de cette passion qui me ronge.

         - Tu es trop passionnée, Sappho, lui reprocha t-il. N’oublie pas que tu es l’Impératrice de l’univers et que ta mort libérera les protonyx.

         - Adonis me succédera.

         - Adonis est « le Renouveau. » En raison de sa naissance, il est condamné à ne jamais gouverner l’Empire.

         Cette révélation étonna Sappho.

         - Tu es en train d’insinuer que ma mort entraînera le Mensékhar.

         - Si tu devais mourir, il faudrait qu’Adonis aille contre sa destinée pour contrer le Mensékhar.

         Cette alternative amusait Sappho, mais elle ne comprenait pas où le nain voulait en venir.

         - Tu m’avais annoncé sur Iadès que les hommes causeraient ma perte et maintenant tu cherches à retarder ma mort. Chercherais-tu à aller contre la destinée ?

         - Je veux plutôt l’éprouver. Les événements que nous vivons actuellement sont écrits depuis les temps du Premier Empereur. Ne souhaiterais-tu pas les contrarier ?

         Changer des projets inscrits depuis des milliers d’années ne laissait pas l’impétueuse Impératrice indifférente.

         - Que dois-je faire ?

         - Il ne peut pas y avoir deux empereurs en même temps. Tant que tu seras en vie, tu empêcheras l’Antiproèdre Eden de déclencher le Mensékhar en se faisant mordre par un protonyx.

         - Mais Eden est mort.

         - Sa mort est un subterfuge de la Doyenne. Elle a fait croire à sa disparition pour pouvoir plus facilement se faire transférer dans son corps.

         Sappho était estomaquée. La Doyenne l’avait jouée et Khios venait de lui apprendre qu’elle avait le pouvoir de retarder le Mensékhar. Si elle se suicidait, elle entraînerait toute l’humanité à sa perte.

         - Je crois que le destin sera finalement le plus fort, conclut-elle.

         - Pourquoi ?

         - Tu l’as dit toi-même, je suis beaucoup trop passionnée. Vivre serait aller contre mon tempérament. Pour changer le destin du monde, il aurait déjà fallu me changer.

         Sur ces dernières paroles, Sappho s’élança dans les airs. Le nain s’approcha du bord et la regarda voler, tel un papillon, vers sa liberté.

         Khios était atterré. L’avenir annoncé par Etran se réalisait avec un implacable méthodisme. Les protagonistes des événements étaient autant de jouets du Mensékhar. Si l’un d’eux ne se forçait pas rapidement à changer sa destinée, la fin du monde serait inévitable.

 

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