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  • : Le blog du Mensékhar
  • : Présentation et publication intégrale de mon ouvrage de science-fiction appelé le Mensékhar
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15 mars 2013 5 15 /03 /mars /2013 14:44

 

         La forêt des Cèdres étendait ses cimes vertes au pied de la montagne de la bibliothèque. Au sommet de ce rocher de granit, Adonis reconnut immédiatement son corps qui n’était pourtant guère plus gros qu’une fourmi. Il allait bientôt réintégrer son enveloppe charnelle.

         Prenant de la vitesse, un tapis d’arbres défilait au-dessous de lui dans une masse verte très floue. Il avançait trop vite pour arriver à distinguer les formes du sol et releva son regard pour le concentrer droit devant lui sur la montagne où il avait abandonné son corps. La montagne grossissait, son corps se transformait, passant d’une petite allumette noire à une forme plus humaine. Adonis distinguait très nettement sa combinaison bleue qui lui enserrait le haut et le bas du corps. Ses cheveux blonds brillaient au soleil.

         Il apercevait maintenant très distinctement sa bouche, son nez et ses yeux fermés. Son corps était figé dans une méditation intense qui ne laissait percevoir aucune inflexion sur son visage.

         L’ectoplasme d’Adonis était maintenant suspendu à quelques centimètres au-dessus de sa tête aux cheveux bouclés. Le jeune homme ne partageait pas l’opinion d’Irz’gune. Certes, il aimait se décorporer, mais il appréciait également les sensations physiques qu’il éprouvait lorsqu’il était dans son corps. La décorporation comme la recorporation lui faisaient un effet à chaque fois différent mais dans les deux cas, il ressentait une impression unique : celle de changer d’univers. Il passait du monde de la chair à celui de l’esprit, puis inversement.

         L’esprit d’Adonis fondit dans son enveloppe corporelle. Il perdait cette impression de légèreté apportée par la décorporation, mais retrouvait la sensation de ses bras, de ses jambes, puis de son corps tout entier. Les senteurs des bois parvenaient de nouveau à son odorat, les rayons du soleil caressaient délicatement sa peau blanche, ses oreilles percevaient le bruit des nuées d’oiseaux qui migraient vers le sud en perspective du prochain hiver. Adonis se laissait volontiers envahir par ces milliers de perceptions qui lui assuraient qu’il était toujours en vie.

         Mettant fin à ce petit plaisir, il abandonna le rocher sur lequel il était assis pour rejoindre Irz’gune qui l’attendait dans la bibliothèque. Le sentier descendait en pente abrupte, obligeant Adonis à s’appuyer sur les cailloux qui parsemaient le chemin pour ne pas le dévaler en tombant.

         Le jeune homme savait se décorporer dans n’importe quelles circonstances et à n’importe quel endroit, mais il éprouvait toujours une certaine nostalgie à quitter son corps du haut de la montagne de la bibliothèque. C’était là qu’il avait passé une bonne partie de son enfance à apprendre la science de l’univers aux côtés d’Irz’gune. C’était là aussi que son maître lui avait appris à se décorporer. Beaucoup trop de souvenirs l’attachaient à ce site magnifique pour qu’il ne puisse y revenir sans un brin de mélancolie.

         Ses pas martelaient les cailloux du sentier. Il dévalait maintenant la pente à vive allure, pressé de rejoindre Irz’gune qu’il venait d’apercevoir en train d’entrer dans la bibliothèque au pied de la montagne.

         Le jeune homme repensait à toutes les sensations qu’il avait éprouvées en fusionnant son esprit avec celui d’Eden. Son frère vivait en lui et avec lui. Adonis n’était pas schizophrène, possédant deux esprits dans un seul corps. La symbiose entre les deux ectoplasmes avait été parfaite et totale. Les deux frères ne formaient plus qu’une seule même âme. Ils étaient indissociables. Adonis était Eden et Eden était Adonis.

         La porte de la bibliothèque était ouverte comme tous les après-midi pour laisser la consultation libre aux sages qui venaient étudier des quatre coins de la planète. Adonis pénétra dans la grotte, cherchant Irz’gune dans le dédale des couloirs taillés dans le roc. Le jeune homme traversa rapidement les pièces et se dirigea droit vers la grande salle de consultation, où Irz’gune aimait visionner les vieux documents.

         Le vieux sage était effectivement dans la pièce, seul. Son regard vague contemplait une sphère holographique qui diffusait les images relatant la naissance d’Eden. L’Empereur Sheshonq était fier de présenter son fils aux notables de l’Empire réunis au sein du Grand Conseil. Oued n’avait pas changé depuis cette époque. Il dirigeait déjà les Immortels avec la fermeté qui durcissait son visage. La Princesse Sappho rayonnait dans toute la splendeur de sa jeunesse. La femme forte et assurée que connaissait Adonis s’avérait avoir été une jeune fille frêle et timide lorsqu’elle n’était âgée que de vingt-cinq ans. Seul son regard décidé trahissait un peu l’ambition qui devait déjà habiter la future Impératrice de l’univers.

         Ces images témoignant d’événements révolus firent prendre conscience à Adonis de l’usure du temps. Le jeune homme éprouvait de la compassion à l’égard de ces individus conservés par ces images dans une jeunesse perdue. Il n’aimait pas ces vieilles images qui le rendaient nostalgique.

         Irz’gune ne se retourna pas. Il avait reconnu la démarche familière d’Adonis et, perdant son regard dans les images de la sphère holographique, adressa quelques mots à son protégé.

         - La tristesse que je ressens en regardant ces images est proportionnelle à la joie que j’avais autrefois éprouvée à l’annonce de la naissance d’Eden. Je t’avais recueilli deux mois auparavant et j’étais alors le seul à savoir que l’Empereur venait de mettre au monde un Antiproèdre.

         Adonis était très étonné d’apprendre que son maître connaissait le terme d’Antiproèdre. Il n’en aurait lui-même jamais entendu parler si Khios ne lui avait pas révélé une partie des projets d’Etran. Il ne posa cependant aucune question à ce sujet car il devinait au fond de lui-même qu’il allait bientôt connaître la réponse à cette interrogation.

         - Eden n’est pas mort, se contenta d’annoncer Adonis.

         A l’annonce de cette révélation, Irz’gune coupa immédiatement la sphère holographique qui continuait à diffuser ses images périmées. Son coeur battait la chamade; il craignait de n’avoir pas bien compris les paroles d’Adonis et les répéta pour obtenir confirmation.

         - Eden n’est pas mort ?

         - Nous avons été abusés par la Doyenne, expliqua Adonis. Elle lui a injecté un produit simulant une mort par piqûre de mouche Arouk.

         Le vieux sage se sentait revivre. Après avoir vu tous ses projets anéantis en un instant, il reprenait lentement espoir.

         - Nous devons soustraire Eden des griffes des savants.

         - C’est trop tard. Les savants ont enlevé Eden pour que Syris puisse prendre possession de son corps. Eden m’a prévenu par décorporation alors que les savants venaient déjà de commencer à transférer les données du cerveau de Syris dans le sien.

         - Le projet Djed !

         Irz’gune n’arrivait pas à y croire. D’après ce qu’Adonis lui avait révélé, il pouvait juger que Syris était enfin parvenue à créer la machine de ses rêves. Lorsqu’elle était venue sur la Planète-Mère il y avait une soixantaine d’années de cela, elle avait révélé aux savants qu’elle cherchait un moyen pour conserver l’esprit d’une personne en dehors de son corps et pouvoir ainsi le transférer dans un autre organisme. Personne n’avait accordé alors la moindre importance à ce projet.

         - J’ai réussi à sauver l’âme d’Eden, affirma fièrement Adonis.

         - As-tu pénétré dans son âme ? S’intéressa Irz’gune.

         Adonis relata l’expérience qu’il avait vécue à son maître.

         - J’ai découvert le Paradis et ai eu accès à tous les secrets de l’univers. Ils m’ont été délivrés sous une forme codée, mais j’en ai compris l’essence.

         Irz’gune se leva de son siège et tendit les bras au-dessus de sa tête comme pour implorer une divinité.

         - Ainsi la légende disait vrai.

         - Quelle légende ?

         - Lorsqu’il vivait avec les sages, Etran leur avait révélé que le deuxième fils qui naîtrait d’un de ses descendants pourrait mettre en danger l’univers, mais que ce dernier posséderait en revanche un esprit capable d’apporter la paix entre les hommes. Cet esprit serait un paradis et cet homme serait un Antiproèdre puisqu’il déclencherait le Mensékhar au lieu de neutraliser les protonyx.

         Adonis comprenait maintenant beaucoup mieux les mises en garde d’Etran à tous ses descendants. En ayant un deuxième fils, ils engendreraient un homme aux pouvoirs exceptionnels mais qui pourrait aussi provoquer la destruction de l’univers. Etran avait programmé le Mensékhar depuis des millénaires, mais on pouvait encore contrarier ses projets. Adonis souhaitait soulever l’adhésion d’Irz’gune.

         - Il faut empêcher Syris de se faire sacrer sur Iadès avec le corps d’Eden. Si elle fait cela, elle déclenchera le processus de destruction.

         - Tu n’as rien compris, lui reprocha Irz’gune. Le Mensékhar est inéluctable et j’en veux pour preuve les visions prescientes brouillées des sages et des chiromanciennes de l’Empire. Le Mensékhar est inéluctable mais l’âme d’Eden va aider quelques hommes à survivre.

         - L’âme d’Eden a fusionné avec la mienne, expliqua Adonis. Nous ne formons plus qu’une seule et même entité.

         Cette nouvelle révélation impressionna Irz’gune.

         - L’âme d’Eden a vraiment des capacités infinies. Lorsque l’univers partira en lambeaux, tu te décorporeras et envahiras le vide laissé par la matière en décomposition.

         - Je ne comprends pas.

         - L’âme d’Eden sera un habitacle pour les esprits dématérialisés qui se grefferont sur elle et pourront ainsi survivre à la disparition de leur corps et de la matière.

         Irz’gune révélait enfin les projets secrets des sages. Ils attendaient depuis des siècles le Mensékhar annoncé par Etran et espéraient rendre leur décorporation infinie grâce à l’esprit de l’Antiproèdre. Adonis frissonna à l’idée d’un monde sans matière où les esprits décorporés seraient condamnés à errer dans sa propre âme.

         - C’est de la folie ! S’insurgea t-il. Les hommes ont besoin de vivre dans un corps.

         Irz’gune était exalté.

         - La chair est mortelle et finie tandis que l’esprit est immortel et infini. La chair condamne l’homme à souffrir physiquement et à mourir. Les sages cherchent depuis des siècles à devenir immortels grâce à la décorporation. L’esprit d’Eden va leur fournir l’opportunité tant attendue.

         Malgré la meilleure volonté du monde, Adonis ne parvenait pas à adhérer à l’enthousiasme de son maître. Il comprenait mieux maintenant le désaccord qui existait entre les projets des sages et ceux du Premier Empereur. Les sages comptaient mettre le précieux esprit d’Eden à leur service pour devenir immortels, tandis que les ambitions d’Etran dépassaient tout ce que l’on pouvait imaginer. Le Premier Empereur s’était donné pour objectif, Adonis le devinait au fond de lui-même, de renouveler et de perfectionner toute l’espèce humaine.

         Adonis protesta violemment, entrant dans une vive colère.

         - Tu me déçois profondément Irz’gune. Tu veux mettre l’esprit d’Eden à ton propre service pour assurer ta survie et celle des tiens. Et quand bien même cela réussirait, peux-tu t’imaginer errant dans l’esprit d’Eden à l’infini. Tout ne serait que répétition et ennui.

         - Pas du tout, se défendit Irz’gune. Tu es bien placé pour savoir que l’esprit d’Eden à des capacités qui dépassent l’imagination.

         - Raison de plus pour les mettre au profit de toute l’humanité. Le Premier Empereur ambitionne de doter l'espèce humaine d’une force qui lui permettra de vivre en harmonie.

         - Le Premier Empereur avec tous ses projets démesurés est mort depuis des milliers d’années, ironisa Irz’gune. Préfères-tu faire confiance aux vivants ou aux morts, Adonis ?

         Le jeune homme se souvenait de sa rencontre avec Khios. Malgré toute l’estime qu’il portait à Irz’gune, Adonis ne pouvait pas donner raison au vieil homme.

         - Etran n’est pas mort, affirma t-il. Khios, son âme, est toujours présente et une partie de son esprit vit dans chacun des protonyx d’Iadès.

         Depuis la visite de Sappho sur la Planète-Mère, Irz’gune avait compris qu’Etran était parvenu à survivre dans les corps des protonyx. Mais ce qu’il ne savait pas, c’était qu’il pouvait se matérialiser en toutes circonstances.

         - Voudrais-tu dire qu’Etran possédait comme Eden une âme infinie.

         La réponse allait de soi. Adonis comprenait de mieux en mieux les intentions du Premier Empereur. Celui-ci avait pressenti qu’un prodige comme lui n’arriverait pas avant des milliers d’années et qu’un tel événement provoquerait du même coup la destruction de l’univers. Etran décida alors de saisir l’opportunité pour renouveler l’espèce humaine. Le projet était grandiose, Adonis le pressentait mais il n’arrivait pas à en saisir les voies et l’aboutissement final.

         - L’esprit d’Etran est tellement complexe que je n’arrive pas encore à en percevoir toutes les facettes. Il en est de même pour l’esprit d’Eden. Je n’ai pas encore exploré toutes mes nouvelles capacités.

         Irz’gune sentait que pour la première fois Adonis s’affranchissait de sa tutelle. Le jeune homme avait beaucoup changé depuis son retour d’Okara. Il avait gagné en maturité et l’adolescent était devenu un homme. Irz’gune redoutait cet instant depuis longtemps. Il croyait s’y être préparé, mais la réaction du jeune homme l’avait pris de court.

         - Acceptes-tu d’aider les sages dans leurs projets, Adonis ?

         - Non !

         - N’oublie pas que c’est moi qui t’ai recueilli et élevé. Comment peux-tu me trahir après tout ce que j’ai fait pour toi ?

         - Je te remercie pour tout ce que tu m’as apporté, mais cela ne te donne aucun droit sur moi. Je suis en droit de disposer de ma vie comme bon me semble.

         Irz’gune ne reconnaissait plus dans ce jeune homme en colère, l’adolescent qui lui avait toujours été dévoué. Il ne se serait jamais attendu à un refus de sa part. Le vieil homme sortit de sa léthargie habituelle pour élever la voix.

         - Tu feras ce que je te demanderai, Adonis, comme tu l’as toujours fait.

         Irz’gune attrapa le bras d’Adonis, maigre effort pour tenter de retenir le jeune homme.

         - Je refuse.

         Adonis s’arracha de l’emprise d’Irz’gune et repoussa violemment le vieil homme en arrière. Il courut en direction de la porte de la grande salle de consultation.

         - Où vas-tu, Adonis ? Supplia Irz’gune.

         Le jeune homme s’arrêta, regarda une dernière fois l’homme qui l’avait élevé et lui avoua.

         - Je vais rejoindre ma mère, chez les Amazones.

         - Ne fais pas cela, prévint Irz’gune. Ces femmes sont misandres et te tueront pour la seule et unique raison que tu es un homme.

         Adonis était beaucoup trop fébrile pour écouter la raison.

         - Mon destin m’attend là bas, j’en suis certain.

         Il se souvenait du jaune de l’arc-en-ciel de l’esprit d’Eden, le jaune des Amazones et le seul espoir qui subsistait pour vaincre le Mensékhar.

         Il passa le seuil de la porte, abandonnant Irz’gune à son désespoir.

 

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commentaires

S
Mon petit passage dans ton belle univers merci pour ce partage je te souhaite une bonne soirée bisous féerique Evy
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E
<br /> <br /> Bonne soirée Evy<br /> <br /> <br /> <br />